Ils étaient nombreux, sur ces terres et sur bien d'autres, à lui envier sa position. Celle de roi, de chef et de meneur incontesté, de noble privilégié. Ce trône sur lequel il s'asseyait en faisait saliver plus d'un, selon eux assurément porteur uniquement de chance, de fortune et d'avantages, suffisamment notable bien sûr pour justifier que le moindre quidam qui oserait y poser son séant - et qu'il fut royal ou non - puisse se montrer aussi capricieux qu'inhumain, aussi exigeant qu'intolérable. Il n'en était rien bien sûr, mais ça, rares le considéraient.
Diriger n'avait rien ni de facile, ni d'intuitif. Mener à l'instinct était stupide, quiconque songeait qu'il puisse être efficace d'administrer sans réfléchir était soit naïf, soit complètement fou. Une guerre de même qu'une régence requéraient travail et rigueur, des qualités que beaucoup oubliaient, et qui ne justifiaient bien sûr en rien la violence dont chacun des trois monarques faisait régulièrement preuve. Ceci, à vrai dire, relevait uniquement de vices et d'appétences tordus, des moyens tantôt de satisfaire quelques désirs pervers, tantôt de se défouler de toute la pression sans cesse accumulée. Rien qui, selon les critères des autres peuples inférieurs, ne justifia leurs comportements, je vous l'accorde, mais peu leur importait. Ici, la loi du plus fort dominait, et c'était à qui ferait le plus de mal que reviendrait le titre de plus respectable.

Ce soir, cette mascarade l'épuisait. Nuit et jour c'était le même spectacle, faire couler le sang, les larmes, tirer des cris puis des suppliques, de nouveaux des cris, puis des promesses, faire régner l'ordre par la force et la brutalité, évincer les révoltes, ne serait-ce que le moindre sentiment d'opposition, détruire, encore et toujours. Qu'il fut un artiste n'y changeait rien, de temps en temps, Azael aspirait à un peu de tranquillité. Du l'azur, de l'impérial ou de l'ocre pour remplacer ce carmin qui depuis des lustres, s'écoulait entre les dalles de granit de la Folie, se figeait en un noir ternit puis se répandait à grand coup d'eau purificatrice en un écarlate dilué, sale et avili. Le benjamin des Easus ne convoitait aucune pureté, il aurait été bien mal placé pour ne serait-ce que l'imaginer, juste un peu moins de médiocrité.

Alors il avait passé sa soirée à peindre. Enfermé dans l'unique pièce où il était -presque - assuré qu'aucun fouineur, ou aucune reine ennuyée, ne viendrait le déranger, il avait laissé son esprit vagabonder, calmé par le chant des milliers d'oiseaux qui prospéraient dans l'immense volière, tranquillisé par son art, la rituelle de ses gestes qui en venaient à lui faire ajouter à son oeuvre de nouvelles touches d'encre irisée.
Le résultat final n'avait rien ni d'exceptionnel, ni de majestueux. C'était beau, impression physique d'une image qu'il n'avait qu'en tête, c'était doux et coloré, mais ce n'était pas le tableau du siècle. Il s'en fichait. Il n'y avait pas de rouge, ni d'alizarine, ni de garance, pas la moindre tâche de vermeil ou de cinabre. Pas de sang.
Le démon s'était calmé. La tension qu'il avait senti nouer ses muscles avait disparue, de même que son agacement perpétuel face à cette saturation que personne n'envisageait, mais avec laquelle il devait vivre heure après heure sans la trahir la moindre fois. Il pouvait sortir de nouveau, se mêler à la foule qui peuplait son château, au coeur sanglant de la forteresse, et s'en imprégner jusqu'à, une nouvelle fois, s'en imbiber tant et si bien qu'il ne le supporterait plus. Mais il n'en avait aucune envie.
Profitant du calme nocturne, il s'évada à son tour d'une prison qu'il avait lui même investi et fila hors de la cité, loin des habitations polluées et du château encore bien trop illuminé, là où il était certain de pouvoir être tranquille encore jusqu'à l'aube, seul avec ses propres pensées.

Inconsciemment, le démon marcha dans les empreintes de la métamorphe. Il suivit, sans s'en rendre compte, les effluves enivrantes de son épouse qui se mêlait à celles, toutes aussi douces, des plantes et bourgeons bordant le cours d'eau, jusqu'à, à son tour, atteindre un bassin plus profond.
L'eau était claire, translucide. La lune pleine qui dominait le ciel étoilé la rendait scintillante. Elle se réverbérait sur les roches et minerais pigmentés qui reposaient dans les profondeurs, donnant à la source un aspect irisé fantasmagorique, magnifique.
La femme qui s'y baignait semblait tout aussi irréelle, sublime sans le moindre atour, sinon celui des feuilles et des fleurs qui la frôlait, de ses longues mèches ondulées qui la ceignaient.
Azael ne se souvenait pas l'avoir un jour vu aussi sereine. Syan était belle, et s'il appréciait de la voir hargneuse, il se surprenait à tout autant apprécier cet air paisible qui la dominait. Une beauté presque éthérée sous le clair de lune, qu'il n'avait, initialement, pas prévu de rencontrer, mais dont il souhaitait à l'instant, ni quitter ni déranger.

Le démon alla alors s'asseoir contre un arbre, tout aussi silencieux qu'à son arrivée. Non pas qu'il souhaita absolument qu'elle ne l'aperçu pas, mais l'idée de rompre la tranquillité de sa conjointe lui déplaisait. Azael était de curieuse humeur, très calme, apaisé. Il ne désirait que profiter du lieu, et partager, que ce fut la beauté des lieux ou son humeur, pour une fois, ne le dérangeait en rien.
Il dut s'écouler une vingtaine de minutes avant qu'un barbottement dans l'eau n'attire son attention. Le régent n'ouvrit qu'un oeil, un automatisme qui le fit se poser sur la nymphe qui reprenait conscience, puis il le refermit, comme rassuré de savoir que ce n'était qu'elle, et pas un autre fauteur de trouble qui viendrait gâcher son repos.

Combien de temps lui restait-il ? Une heure, peut-être deux, avant que l'éclat rougeoyant qui léchait l'horizon ne consume l’entièreté du voile ébène qui tapissait le ciel ? Conquérant lui aussi, le soleil ne tarderait pas à dominer l'étendue céleste, effrayant son opalescente  némésis jusqu'au soir où, clamant sa vengeance, la lune la détrônerait de nouveau et régnerai, une nuit durant, sur le monde endormi.
Avait-il suffisamment profité ? Cette soirée passée éveillé lui avait semblé infiniment courte, et ce bien que son calme n'ai pas été rompu la moindre fois, le démon déplorait le terme trop proche de cet instant qu'il avait, plus que tout, cherché à prolonger.

Son attention se détourna des bois dont les ténèbres ne tarderaient pas à être transpercé d'une nitescence meurtrière. Lentement, Azael parcouru le bassin des yeux, l'eau teintée de jade, d'ambre et d'écume, la cascade puis plus haut, la créature qui y reposait, gardienne majestueuse d'un cours d'eau insouciant. Qu'elle fut sous forme humaine ou sous l'autre, animale, Syan gardait cette grâce noble et princière qu'il affectionnait tout particulièrement, un charme qui faisait malgré elle d'elle la reine qu'elle n'avait jamais désiré être.
Le régent aurait pu la regarder durant des heures, consacrer les deux qu'il lui restait à ne faire que parcourir son pelage, imaginer y plonger ses phalanges et profiter de sa douceur. Bien plus que ses deux frères, le monarque appréciait à savourer le moindre minuscule plaisir, la beauté du monde ou celle des femmes et ce sans nécessairement ressentir le viscéral besoin d'y apposer sa griffe. L'idée d'en profiter était particulièrement tentante, et ce en dépit du fait qu'être ainsi dévisagée pouvait être tout à fait malaisant.

Lorsqu'il croisa, enfin, l'éclat émeraude des prunelles de la panthère, l'homme s'y accrocha, et, constatant qu'elle ne se détournait pas la tête, il ne la quitta plus des yeux.
Il commençait à le connaître, ce petit bout de femme au menton toujours levé, provocateur et rebelle. Il était curieux de découvrir, qui de lui ou elle, souhaiterait rompre cet échange en premier, et ce qui, jusqu'alors, relevait d'une tranquille observation se métamorphosa, pour lui, en un début de jeu qu'elle aurait tout le loisir soit de partager, soit de gâcher.

Si la jeune régente était avantagée du simple fait de sa race et ainsi des nombreux privilèges que sa métamorphose en une magnifique panthère ébène lui dispensaient, l'immortel souverain démoniaque ne se voyait pas en reste. Familier des longues sessions d'observation, l'érudit savait focaliser son attention durant des heures sur un unique sujet, le détaillant alors sous toutes les coutures pour s'en représenter une image mentale aussi parfaite qu'intemporelle. Ces yeux, ces deux pierres de jade qui se perdaient dans l'ocre de ses propres pupilles, le hanteraient pendant des jours, il le savait, car à l'instar de tout sujet qui eu un jour été l'objet de pareille attention, ces yeux tout comme la femme à qui ils appartenaient ne cesseraient de lui revenir à l'esprit, une image nette qui martèlerait son corps et son âme jusqu'à ce qu'il se décide à s'épancher sur une feuille, une toile ou finalement, n'importe quel support sur lequel il pouvait inscrire sa créativité et se décharger de cette intense focalisation qui le posséderait à coup sûr.
Les sons, eux non plus, n'étaient pas suffisants pour le détourner de la majestueuse créature sise au sommet des chutes d'eau. Pas qu'il fut si concentré qu'il en oublia de surveiller son environnement, une vie de privilèges au château n'était pas vectrice de pareille inattention, au contraire il fallait toujours demeurer sur ses gardes à la Folie, mais il avait appris à différencier ce qui relevait du naturel et ce qui relevait de l'étrange, d'autant plus dans un lieu qu'il avait tant foulé qu'il pouvait le traverser les yeux fermés sans jamais percuter le moindre obstacle. Les bois étaient de ceux ci, certes pas dans toutes leurs longueurs, ils étaient bien trop grands pour ça, mais une partie du moins, les voies et accès menant aux quelques rares point de paradis qui subsistaient dans le chaos d'Yldrhen.

La seule chose qui finalement, le contraignit à se détourner de cet insaisissable regard fut le brusque et inopiné sursaut du fauve ténébreux, sa frayeur soudaine si extrême qu'elle poussa l'animal à bondir pour fuir la source de ses peurs et à atterrir le cul dans l'eau, dix mètres plus bas, à moins de deux mètres de la position de l'artiste qui se prit toute la flotte soulevée en pleine face.

Azael était trempé. La vague glaciale qu'il s'était prise de plein fouet s'était chargée d'imbiber ses vêtements qui, d'une seconde à l'autre, s'étaient collés à sa chair, resculptant des muscles qu'il n'était pas même nécessaire de mettre ainsi en valeur pour pouvoir être devinés. Ses mèches de cheveux, dégoulinantes, gouttaient déjà sur un visage pas moins éclaboussé, encore figé par la stupeur.  
Le monarque n'avait rien vu venir. Son espièglerie s'était figée d'une soudaine et incompréhensible inquiétude face au faciès terrorisé de sa féline compagne, mais la douche prise avait coupé court à la moindre de ses réflexion, le raidissant dans son humeur inhabituelle, le regard fixé, hébété durant quelques longues secondes, sur la panthère qui sortit la tête de l'eau puis approcha du bord du bassin pour s'en extirper.

Et puis son oeil entraperçu le lapin, aussi terrorisé que Syan une seconde plus tôt, le pas précipité malgré une confusion certaine. Petit lapin flippé qui passa entre l'homme et la bête.
Azael s'attarda un instant sur lui, puis il remonta pour croiser le regard émeraude de sa belle, immobilisée face à la minuscule créature assommée, la jeune fauve elle même encore sous le choc.
Le ridicule de la situation frappa le roi aussi brusquement que l'écume avait cogné contre son buste. La crainte qui enserrait sa poitrine le libéra aussitôt, la pression disparu soudainement au profit d'un rire franc, incontrôlable, qui ne relevait d'aucune moquerie sinon celle de dirigée contre lui même, qui fut stupide dans cette situation tout à fait absurde.

L'initiative de la jeune femme était aussi invraisemblable qu'avait pu l'être, selon elle, le rire sincère du régent cornu. Habitué à la voir amère et venimeuse, toujours là à grogner, à déprécier ou à réprouver, Azael avait pris l'habitude de na percevoir que comme une gamine farouche rebelle à la moindre autorité, braqué, dotée d'une mauvaise volonté à toute épreuve et de l'incroyable talent de toujours parvenir à lui péter les couilles, et ce d'une manière ou d'une autre. Le démon n'avait jamais douté qu'il eu put se dissimuler, sous cette rogue insolente exprimée à chaque instant un tempérament tout autre, sincère et naturel. Sans savoir s'il eu put être calme ou orgueilleux, joyeux ou exécrable, il devinait néanmoins un caractère authentique, loin de ce masque insoumis et révolté qui, quoi que tout aussi véritable, n'était finalement qu'un rôle endossé face à une situation qui perdurait depuis trop longtemps. Cependant, bien qu'il l'ai toujours soupçonné, il ne s'attendait pas à en avoir un aperçu à l'instant.
Ce n'était pas pour lui déplaire.

Agréablement surpris, l'érudit stoppa un court instant son rire, le temps de considérer l'acte de la demoiselle métamorphosée, puis il reprit de plus belle, plus hilare encore maintenant qu'il la savait aussi détendue que lui. A son tour, sa patte parti, frappant un tas de feuilles morte que le vent avait rassemblé à proximité pour les projeter sur le fauve dont le pelage, trempé, assurait une fixation béton.  

Il était persuadé que l'eau serait glaciale. La saison froide qui menaçait avait déjà réussi à effrayer le soleil. Il fuyait, un peu davantage chaque jours. La chaleur que dispensait ses rayons perdait en intensité, leur éclat diminuait un peu plus chaque matin, chaque soir. Le froid s'insinuait alors, vicieux. Les feuilles ne parvenaient plus à résister au vent qui, plus puissant, plus raidissant, les martelait de sa force. Elles tombaient, et la protection sylvestre qui filtrait l'air gelé venu des monts s'effondrait, abandonnant la biodiversité qui y prospérait au joug intraitable d'un hiver qui promettait d'être rude.
La ramure des arbres était amaigrie, déjà dénudée de son feuillage épais. Le matin, une fine pellicule de givre venait parfois recouvrir l'ensemble d'un paysage pourtant encore vert d'un été qui avait été florissant. Le gel marbrait parfois l'horizon d'immaculé une matinée durant, avant de fondre doucement, preuve d'une baisse flagrante de température dans cette région ci de Seroth. De fait, tout portait à croire qu'une baignade dans le bassin aurait de quoi en faire se raidir plus d'un, saisi de froid.
Il n'en fut rien. Azael se surprit à constater l'eau, quoi que rafraîchissante, tout à fait agréable, mais aussi douce qu'elle put l'être, elle n'était pas suffisante pour lui faire oublier ce qui, peu de temps avant, s'était chargé d'humidifier sa peau. Une léchouille inattendue, la langue râpeuse d'un félin joueur contre la barbe de trois jours d'une joue négligée.
Cette initiative avait eu le résultat escompté. Le régent s'était vu tout à fait déconcerté, agréablement surpris, mais tant et si bien qu'il avait baissé sa garde. C'était bas, c'était fourbe, mais il aimait ça.

La femme qui prenait désormais place face à lui, muse infernale vêtue uniquement d'attributs raciaux  qu'elle lui cachait d'ordinaire toujours, avait plus de qualités qu'il le croyait. Ce constat tira au monarque un large sourire, si sincère qu'il eu pu paraître pourtant tout à fait débile, et alors qu'il demeurait le cul dans l'eau, encore un peu béat, il relança les hostilités. Ses bras plongés dans l'eau jusqu'aux coudes, il les redressa, de sorte à projeter sur sa reine quantité d'eau qui viendrait, à son tour, la frapper au buste et au visage.

- Comme ça tu oses t'en prendre à moi ?!

Lui non plus n'était pas à être sous estimé. Tout coup porté mérité d'être rendu.
Au centuple.

Le régent haussa exagérément un sourcil face à la comédie de son épouse, feignant une considération étonnée devant l'initiative de celle qui, jusqu'alors, avait toujours mis un point d'honneur à refuser d’exécuter la moindre révérence. Une réaction qui s'était volontairement voulue d'un sérieux démesuré, aux antipodes de l'espièglerie insolente exprimée par la nymphe animorphe, dans sa recherche d'un jeu théâtral digne du sien. Pour donner encore davantage de crédit à ce rôle qu'il avait endossé le temps d'une comédie à ciel ouvert, Azael croisa les bras, faisant involontairement saillir biceps et pectoraux sous une chemise immaculée - du moins le fut-elle avant qu'il ne la tache de dizaines de pigments de peinture irisés - que la jeune femme s'était chargé de détremper.

- Te le faire regretter.

Ainsi positionné, corps comme faciès marqué d'une déférence surfaite, le monarque trahi surtout l'espièglerie qui le dominait déjà depuis plusieurs minutes. Celle ci bien sûr ne se serait contentée qu'une menace en l'air, de fait, bientôt, il passa à l'acte.
Le démon fit un pas, le seul nécessaire pour diminuer nettement la distance qui séparait leurs deux corps. D'un écart qui conservait encore de peu l'espace nécessaire à une intimité sauvegardée, ils passèrent à un espace ridicule, où presque peau contre peau, chacun des deux pu sentir la chaleur qui s'en dégageait. Décroisant ses deux bras durant le dit mouvement, l'homme cornu remplaça le tissu mouillé que sa paume droite touchait une seconde plus tôt par la joue délicate de son épouse, sa large main posée sur sa mâchoire, le pouce frôlant à peine le galbe de sa lippe entrouverte.
Son propre visage avait perdu de cette extravagance qu'il s'était plu à adopter pour leur jeu, au profit d'un sérieux profond, semblait-il si sincère qu'il fini, après quelques secondes d'un lourd silence, par faire fuir la malice des yeux de sa muse. Chair contre chair, et son regard figé dans l'émeraude du sien, Azael n'attendit que de la voir finalement se perdre dans ses yeux pour exécuter le geste suivant.
Délaissant la mandibule de sa belle, le roi fit glisser sa main le long de sa gorge, une longue et lente caresse qui, une fois arrivée à sa clavicule, remonta d'une langueur tout aussi modérée jusque son épaule. Durant cet instant, sa seconde paume vint trouver refuge sur la hanche droite de la demoiselle.
Ce ne fut qu'une fois positionné de la sorte qu'il passa à l'acte. Il sourit, trop tôt peut-être, et d'une pression calculée, le roi fourbe profita de la faiblesse trahie de sa femme pour la faire soudainement basculer dans l'eau, et emporté par le mouvement, il n'eu d'autre choix que de la suivre.

Il ne fallut pas longtemps au jeune homme pour ressortir la tête de l'eau. A vrai dire, à peine eut-il sentit le petit corps de son épouse lui échapper qu'il poussa de ses deux paumes sur les profondeurs rocheuses du bassin pour remonter à la surface, se tournant alors qu'il était face vers le fond pour, une fois le buste extirpé de la poigne rafraîchissante des flots, être tourné vers sa promise.
Apercevoir le regard, certes amusé, mais noir, et pourtant d'un vert si magnifique, de la panthère flouée tira au régent un sourire plus grand encore que celui qui avait pu illuminer ses traits face à l'engouement de sa femme devant leur jeu. Il sourit de toute ses dents, fier de sa frasque, pas même inquiet d'avoir pu froisser la demoiselle d'avoir eu l'audace de jouer avec un désir qu'elle n'avait pas même cherché à dissimuler. Mais si fierté il y avait à avoir constaté que la démone rebelle était bel et bien sensible à ses charmes, à l'instant ce ne fut pas cette observation - constat de son influence sur un être qui s'obstinait à lui résister - qui le fit se sentir si joyeux. Ce simple moment échangé, cette joute presque innocent qui avait pu être tenue avec sa femme sans apriori, ni rancune, ni colère, ni méfiance aucune avait réussi à rendre Azael plus heureux qu'un gosse le jour de son anniversaire.
Parfois, il lui en fallait vraiment très peu. Mais s'arrêterait-il là ? Déjà, le sourire vengeur de Syan, promesse d'une revanche bientôt imposée, le poussait à repartir à l'assaut, quémander une nouvelle manche qu'il se fichait presque de gagner.

Il n'aurait su dire combien de temps ce manège dura. Le temps avait filé plus vite que lorsqu'il se perdait en esquisses et gribouillages, là haut à l'abri du monde dans la serre qui lui servait de pièce de repos. Encore essoufflé et toujours aussi trempé qu'il ne l'était au commencement, Azael fini par prononcer quatre mots malheureux, qu'il n'aurai pu se permettre de repousser davantage.

- Il va falloir rentrer.

Le rire qui résonnait dans sa gorge encore quelques secondes plus tôt avait fini de se perdre dans l'immensité d'un ciel que le soleil avait fini d'éclaircir. L'aube était passée depuis un moment déjà, et lui qui s'était promis de ne pas traîner avait déjà repoussé son office d'une heure. Il se devait de mettre un terme à cet instant, et ce bien qu'il n'apprécia pas l'idée, l'intensité des rayons avait fini de le rappeler à ses responsabilités.
Il se redressa. D'allongé sur l'herbe et dans les feuilles - d'ailleurs celles-ci demeurèrent collées sur sa chemise - il passa en position assise et d'ici, il se permit de détailler la belle qui avait pris place à ses côtés, demeurée sur son séant les quelques deux minutes qu'ils passèrent sur la rive une fois leur confrontation terminée.
Elle avait toujours ses deux attributs démoniaques. La queue qui battait doucement l'air et deux cornes sublimes, qui ceignaient son crâne comme l'aurait fait une couronne. Diadème bien élégant chez les démons, d'un naturel peu commun par ailleurs. Tous arboraient d'ordinaire des appendices plus agressifs, dont les pointes, plus aiguisées que des fils de rasoirs, menaçaient tantôt en face, tantôt au dessus.
Syan était belle, d'autant plus lorsqu'elle laissait sa vraie nature s'exprimer. Toutefois, le roi ne souhaitait pas partager.

- Rhabilles toi.

Le ton emprunté demeurait léger, marqué par l'instant de détente passé peu avant. D'aucuns auraient pu croire qu'il se fut agit d'une proposition sans arrière pensée, des mots qu'il n'aurait même pas du avoir à prononcer car relevant de la suite logique de son annonce préalable, une façon uniquement de motiver la belle étrangère à se mettre en route également. Mais bien que ce fut le cas, initialement, l'ordre n'était à vrai dire pas à contester.
Ce ne fut qu'une fois qu'il eu constaté de l'absence d'une tenue décente que l'érudit monarque se départit de sa chemise. Elle n'était pas sèche, mais ce serait mieux que de voir sa femme rentrer toute nue.
Toujours taquin, Azael, plutôt que de lui tendre le tissu détrempé, le lui envoya au visage, de sorte à ce qu'il arriva non pas en boule mais ouvert, étendu sur le crâne de la belle et lui masquant la vue.
Son sourire trahi dans ses paroles, il lui intima ensuite de l'enfiler.

Deux ocres prunelles se figèrent sur l'enveloppe charnelle d'une nymphe plus ange que démon. Elles s'y attardèrent, indiscrètes mais finalement très peu soucieuses de l'être, glissant sur la douceur de son épiderme, et léchant chacune de ses courbes.
Durant quelques instants, elles relevèrent le moindre détail qui eu pu différencier l'anatomie de cette femme à celle de n'importe qu'elle autre demoiselle. Car si chacune disposait des mêmes attributs, qu'ils fussent utiles à des fins de déplacements ou de séduction, toutes se différenciaient finalement l'une de l'autre d'un galbe, d'une empreinte, d'une défaut ou d'une perfection qui se voyait d'un singulier sans pareil.
Syan, comme chacune, avait tout de semblable mais également tout de distinct des autres femmes. Elle était belle, personne ne le nierai, et d'aucuns iraient même jusqu'à parler d'une forme de perfection des plus admirables : celle du naturel. Car beaucoup ici bas, pour se sublimer aux yeux de la gente à flatter, ne cessaient de s’embellir de fards, de poudre, de khôl et de draperies. Sans même discuter des créatures qui en usaient jusqu'à s'en dissimuler complètement, d'autres que la chose en effet magnifiait atteignaient presque cette perfection que tant d'êtres convoitaient.
Rien de plus qu'un mirage pour flouer le regard extérieur, un trompe l'oeil qui perdrait de sa superbe dès lors que l'être maquillé aurait le malheur de faire disparaître de son faciès le camouflage qu'il avait pris tant de soin à installer. La démone animorphe n'avait quant à elle besoin de rien de tout ceci, et c'était ça certainement qui la rendait si désirable, ou au contraire si exécrable pour ces hères qui ne parvenaient à surpasser leur misérable jalousie.
Le port haut, noble sans être fier, d'apparence gracile et pourtant si athlétique, elle ne présentait pas le moindre défaut, ou rien qui eu pu aller jusqu'à entacher à sa beauté. Les cicatrices que le régent notait se faisaient rares, les grains de beauté également, ne demeuraient que de mignonnes tâches de rousseurs, sur son museau et ses pommettes. L'ébène de ses mèches tranchait avec le doux hâlé de sa peau, avec deux yeux d'un jade hypnotisant, tandis que leur longueur venait délicatement encadrer visage et courbes, quelles qu'elles fussent. Ses épaules, ses seins, ou son fessiers. Rien d'une malheureuse chemise ne dissimulait, en effet. Au contraire, car l'humidité du vêtement venait coller le tissu à la rondeur de sa chair, signifiant encore davantage qu'une pudeur assumée l’envoûtant de l'anatomie féminine.

Le monarque grimaça finalement, toujours dans l'excès pour ne pas rompre leur jeu qui se poursuivait, bien que son sentiment initial soit sincère.

- Ce n'est pas suffisant. Tu devrais te transformer.

Un ordre plus qu'une proposition. Il était hors de question que son épouse fasse profiter de sa sublime plastique une ville entière de démons et d'esclaves en chien. Il était déjà trop que la faune sauvage y ai eu l'accès.
Azael attendit donc qu'elle passa à l'action. Ce ne fut pourtant pas une potentielle métamorphose qui attira son attention, mais le bruit de pas clairement indiscrets d'un être qui n'avait rien à faire là. Il fronça les sourcils, son humeur soudainement rembrunie par la simple présence de l'inopportun, puis il grogna quelques mots, secs cette fois ci, ce qui tranchait avec sa bonne humeur récente.

- Venzel, qu'est ce que tu fous là ?

Ce n'était pas suffisant d'avoir surprit le parfums de son cadet dans sa suite, sur son lit et sur les vêtements de sa femme, il fallait désormais qu'il vienne l'observer ?